Et si la rémunération n’était pas qu’une question d’argent ? (par Sandrine Dorbes)

Pourquoi avons-nous un rapport si particulier à l'argent. Quel est l'impact de ce rapport à l'argent dans le monde de l'entreprises ? Découvrez la réponse dans Sandrine Dobres, consultante experte en politique de rémunération

Contributors
Sandrine Dorbes
Fondatrice du cabinet How Much et experte en politique de rémunération
Sommaire

La rémunération est un sujet qui parle à tout le monde. C’est très concret. C’est mesurable. Et pourtant c'est loin d'être un sujet simple. Que l'on soit dirigeant·e, salarié·e, manager ou managé·e, parler de rémunération est un exercice souvent stressant et inconfortable.

Stressant car nous n’aimons pas parler d’argent, donc on évite de le faire autant que possible.

Inconfortable car quand on parle de sa rémunération on peut ressentir des émotions et des sentiments qui nous mettent mal à l’aise : la gêne, l’envie, la honte, la peur… et souvent cela nous empêche d’avoir une discussion apaisée.

Quand on parle de rémunération il y a plein de choses qui s’expriment : notre rapport à l’argent d’une part, et nos attentes d’autres part : justice, reconnaissance, équité, évolution…

Je vous propose des éléments de réflexion afin de mieux comprendre pourquoi parler de rémunération est si délicat.

L’argent, un tabou bien français

L’argent à son propre langage, ou plutôt chacun·e a son langage propre de l’argent. Mais il s’agit d’une grammaire complexe : elle repose sur un ensemble de paramètre qui nous échappe la plupart du temps. A commencer par l’héritage socioculturel qui pèse son poids. On me dit souvent que c’est un problème très français, que les Américains ou les Chinois parlent plus facilement d’argent et de rémunération. J’aime bien ces deux exemples car ce sont justement des cultures très différentes. En France il y a des éléments marquants et lourds qui ont encore des répercussions sur nos comportements et nos façons de penser. Du moment où l’on a grandi en France, on porte les stigmates de cette Histoire. Voyons quelques exemples.

Entre le baptême de Clovis et la loi de séparation de l’Eglise et de l’état, cela fait 1500 ans d’influence colossale du catholicisme dans la sphère spirituelle, politique, sociale, économique et culturelle. Ça laisse des traces. La révolution française est un renversement de l’ordre social qui a mis un siècle à se stabiliser. Ça laisse des traces. La révolution industrielle a entraîné des changements irréversibles sur le monde du travail dans un laps de temps très court. Cela a favorisé l’émergence du Marxisme et une défiance vis-à-vis du capitalisme. Ça laisse des traces. Même si c’est loin. Même si on a oublié.

Mais ce n’est pas tout. Il faut ajouter à cet héritage socioculturel les effets de notre éducation. Nos parents nous ont transmis des croyances sur l’argent. Leur propre rapport à l’argent nous a beaucoup influencés, que l’on ait adopté les mêmes comportements ou que l’on se soit construit·e en opposition. En écrivant ces lignes je repense à une dirigeante à qui je demandais pourquoi elle ne pouvait pas demander une augmentation de salaire. Elle m’a répondu que “ça ne se fait pas”. Quand je lui demande qui lui a dit que cela ne se fait pas elle m’avoua sur le bout des lèvres “... ma mère…”.

Notre langage de l’argent dépend donc de notre héritage socioculturel, de notre éducation, et de nos expériences. Pas étonnant qu’il soit si complexe à analyser d’une personne à une autre.

Prendre conscience de ce qui rend votre rapport à l’agent si particulier va vous aider à mieux comprendre ce qui se joue pour vous quand vous devez parler de votre rémunération. Vous serez alors plus à même de comprendre que les personnes en face de vous ne parlent pas le même langage de l’argent.

L’argent, une bonne excuse

Le problème avec l’argent c’est qu’en matière de management il a l’air bien pratique. Une prime si l’objectif est atteint. Une carotte ou un coup de bâton. Une formule vieille comme le monde. Sauf que… Ça serait trop facile. On sait depuis longtemps qu’en matière de motivation l’argent peut être efficace quand il s’agit d’exécuter des tâches simples. Mais il peut être contre-productif quand il s’agit de tâches complexes. Je vous invite à voir et revoir le TedX de Daniel Pink sur le sujet. Il est très inspirant sur le thème de la motivation.

Mais alors pourquoi on continue ? Parce que c’est plus simple de jouer avec les primes que de faire du management, du vrai management. On préfère diminuer une prime quand une personne n’a pas bien fait son travail au lieu d’avoir une discussion pénible sur le fait qu’elle n’est pas aux attentes du poste pour lequel elle touche un salaire. On préfère promettre un bonus plutôt que de chercher à comprendre ce qui motive vraiment les équipes. Je ne juge pas le fait que l’on joue la facilité. Je regrette juste que l’on ne l’assume pas. Ça n’aide pas à avoir un dialogue apaisé autour de la politique de rémunération en entreprise.

L’argent, une récompense secondaire

Voyons ce que nous disent les neurosciences au sujet de l’argent.

L’argent est une récompense secondaire. Secondaire car notre survie ne dépend pas de l’argent. Je vous imagine déjà bondir en lisant cette phrase. L’argent est un moyen, mais pas une fin. L’argent nous permet d’acquérir ce dont nous avons besoin pour survivre : nourriture, eau, vêtement…

Puisque l’argent n’est pas directement lié à notre survie il n’a pas de valeur innée. Il a la valeur qu’on lui accorde. Cette valeur peut donc varier d’une personne à une autre. Il n’y a pas d’effet de satiété non plus. Certaines personnes ne se satisferont jamais de ce qu’elles reçoivent.

Le fonctionnement d’un système de récompense est simple : si une action engendre une récompense nous serons motivés pour répéter cette action. Donc si j’ai atteint mes objectifs et que je touche une prime pour ça, je vais être motivée pour recommencer ? Et bien pas toujours. Ça serait trop simple une fois de plus. Les neurosciences démontrent que le plaisir que l’on ressent est limité si la récompense est anticipée. Autrement dit si je gagne 100€ à un jeu de grattage je vais être bien plus contente qu’en recevant ma prime de 1000€ que l’on m’a promis à la fin de l’année. Je force un peu le trait mais vous voyez l’idée.

La première année vos équipes seront ravies de recevoir leur prime, mais la deuxième il y aura déjà moins d’enthousiasmes. Paradoxalement elles continueront à vous demander plus de prime. Mais derrière chaque demande il y a un besoin qui cherche à s’exprimer.

En chaque personne il y a un petit cœur qui bat

J’aime à dire que la rémunération est un sujet très émotionnel. En RH c’est le sujet qui suscite le plus de réactions, même quand on n’est pas concerné. Quand on évoque la rémunération il y a souvent des émotions négatives qui se manifestent. Il faut voir les émotions négatives comme des signaux qui nous indiquent que la situation que l’on est en train de vivre n’est pas en accord avec nos valeurs et nos besoins profonds. Ce sont des indicateurs très efficaces.

Problème : on n’apprend pas à les identifier, ni à les analyser. On n’apprend pas non plus à définir nos besoins profonds. Résultat quand votre chef·fe vous refuse votre augmentation vous vous énervez parce que « ce n’est pas juste ». Mais êtes-vous capable d’expliquer ce qu’est la justice pour vous ? Et ce besoin de justice d’où vient-il ? La colère que vous ressentez à ce moment-là et qui vous empêche de rester concentré·e sur votre objectif (c’est-à-dire obtenir une augmentation) elle vient de votre passé ou c’est cette situation qui en est vraiment la source ?

On parle de plus en plus de “vulnérabilité”, de l’accepter, et d’en parler sereinement. Mais en entreprise c’est comme pour la bienveillance : on a plus de croyants que de pratiquants. Je constate que trop de personnes croient qu’il est impossible de parler de ses émotions en entreprise. Qu’il est trop difficile de dire en comité «cette décision me met mal à l’aise. Je la trouve injuste parce que détails sur ce qu’est une injustice et cela me met un peu en colère ». Quand quelqu’un·e ose (ça arrive parfois) alors le silence se fait autour de la table. Il y a beaucoup de gêne dans les regards échangés. Plus tard on conclut que la personne a perdu ses nerfs. Pour la plupart d’entre nous il est très difficile d’écouter sa colère et celle des autres. C’est bien dommage car on passe à côté d’une source d’information et de progrès précieuse.

L’argent, un sujet individuel et personnel ?

On pourrait penser qu’il s’agit d’un problème très personnel. Que cela ne concerne pas l’entreprise. Que nenni ! Quand on est en capacité de parler d’argent plus sereinement on gagne sur tous les tableaux. D’un point de vue individuel on est davantage en capacité de défendre ses propres intérêts. On se sent moins démuni·e ou victime d’un système opaque que représente la gestion RH de l’entreprise. D’un point de vue collectif le climat est plus apaisé. Moins de méfiance et de défiance. Ça fait envie non ?

La rétribution doit être vue au sens large. Il y a la rémunération qui est la contrepartie financière de notre travail, mais il y a aussi la reconnaissance qui est la contrepartie morale. Il faut travailler sur les deux plans pour avoir un système efficace. Donc il faut travailler sur l’aspect technique et émotionnel.

La prochaine fois qu’une personne vient vous demander une augmentation demandez-vous quel besoin elle cherche à nourrir au-delà des euros. Parce ce que la rémunération n’est pas qu’une question d’argent.

Découvrez notre checklist politique de rémunération